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« Vous avez certainement admiré ces paysages chinois dans lesquels l’on aperçoit quelque part un personnage de dimension minuscule. Pour un amateur occidental, dont l’oeil est habitué à regarder des oeuvres où les sujets sont représentés au premier plan, reléguant ainsi le paysage à l’arrière plan, ce personnage est complètement perdu, noyé dans le grand tout. Ce n’est pas ainsi que l’esprit chinois appréhende la chose. Le personnage dans le paysage est toujours judicieusement situé: il est en train de contempler le paysage, de jouer de la cithare, ou de converser avec un ami. Mais au bout d’un moment, si on s’attarde sur lui, on ne manque pas de se mettre à sa place, et l’on se rend compte qu’il est le point de pivot autour duquel le paysage s’organise et tourne, que c’est à travers lui qu’on voit le paysage.
L’homme n’est pas cet être extérieur qui bâtit son château de sable sur une plage abandonnée. Il est la part la plus sensible, la plus vitale de l’univers vivant; c’est à lui que la nature murmure ses désirs les plus constants, ses secrets les plus enfouis. S’opère alors un renversement de perspective. Tandis que l’homme devient l’intérieur du paysage, celui-ci devient le paysage intérieur de l’homme…. C’est de sujet à sujet, et sous l’angle de la confidence intime, que l’homme y noue ses liens avec la nature. Cette nature n’est plus une entité inerte et passive. Si l’homme la regarde, elle le regard aussi; si l’homme lui parle, elle lui parle aussi. … La beauté du monde est un appel au sens le plus concret du mot, et l’homme, cet être de langage, y répond de toute son âme. Tout se passe comme si l’univers, se pensant, attendait l’homme pour être dit. »
François Cheng « Cinq méditations sur la beauté »